Révolution d’Olivier Dubois prend corps dans la résistance féminine

Le festival Artdanthé, pour sa treizième édition, s’ouvre sur des figures féminines attelées à la barre. A l’entrée du théâtre, dans un écrin de verre et de tissu noir, Auréline Roy nous tourne le dos, ou plutôt elle tourne l’envers de son corps vers nous. Seule à l’exception d’un compteur numérique, la performeuse, qui présente le 8 février la pièce Contraintes et pressions, demeure immobile, montée sur pointes, face à sa barre classique. Par le défi de durée qu’elle s’impose dans Le temps pointé elle donne à voir le mouvement du souffle, les contractures musculaires et ce léger tremblement qui échappe à la maîtrise. Elle explore ainsi sans fioritures inutiles les possibilités et la docilité d’un corps soumis à la contrainte.

Révolution d’Olivier Dubois prend également corps dans la résistance féminine. Douze danseuses lancent une révolution qui semble hors du temps. Dévêtues de noir, elles incarnent en boucle une composition qui débute avec la marche. La pièce dure 2h15, cette marche s’installe, l’œil s’attache aux différents rythmes qui parviennent à exister, tout à la fois gommés et soulignés par l’unisson. Chacune attachée à une barre verticale, à son axe de rotation, son axe fixe de révolution, elles n’avancent pas, elles creusent. Ensemble, telle une masse laborieuse, elles sont les acharnées de la terre. Fortes de ce que Cioran appelle la « supériorité mystérieuse que confère un esclavage millénaire », elles portent le souvenir d’autres combats. Les pas se transforment, des figures plus complexes s’enroulent autour des barres, l’unisson se défait.

Brusquement, les combattantes se confondent avec les danseuses de cabaret, les danseuses de ballet, les corps ouvriers de la danse. Olivier Dubois dit que seules les femmes peuvent faire trembler la terre et en assistant à leur lutte sans éclats, nous ne pouvons qu’acquiescer. La salle tremble en effet, suspendue aux singularité de chacune qui apparaissent distinctement. Chacune semble écrire son propre manifeste et pourtant elles mènent cette fébrile résistance en commun, liées par un pacte sans âge. Elles occupent leur territoire obstinément , en guerrières peut-être mais pas en conquérants. Pourtant toute la puissance militaire du Boléro est retenue, magnifiée par la répétition et la gradation de ce sur-place. Être en révolution, tourner autour de son axe propre, prendre le risque de la marche, jamais innocente, toujours propice à la chute, ce n’est pas un presque rien. Le défi physique est impressionnant, littéralement.

L’emprunte est profonde de ses corps qui tiennent et fatiguent, des visages qui se marquent, des muscles qui saillent. Certaines continuent malgré leur affaiblissement, d’autres trouvent une force rayonnante dans l’épuisement. Engagées dans une pièce à la mécanique implacable, les danseuses portent bas, en profondeur, la force de faire tourner l’humanité. Il y a quelque chose d’organique, un ressac ou une respiration ; une fureur obsessionnelle et rituelle à piétiner ainsi le même chemin, sans cesse. Il ne reste sur le plateau que l’élan, la force qui sous-tend la révolution. Une affirmation, une évidence lancinante tout à la fois désespérée et inévitable. Une réussite.

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