Evi Tzortzi : m.e.t.a., Modified estimated time of arrival ou la possibilité d’un après.

Dans le cadre du festival Re-Map d’Athènes, Evi Tzortzi présente une performance en prise avec les événements actuels. Cette performance est issue de la vidéo antanaclasis conçue fin 2008 alors que la crise financière s’installait. Quelques trois ans après, la Grèce se trouve au premier plan d’un paysage mondial instable et inquiétant. Pourtant, la performeuse choisit d’évoquer une fin différente de celle annoncée par les marchands de peur, en prenant garde de ne rien affirmer.

Au moment de la création de la vidéo antanaclasis – figure rhétorique que l’on pourrait traduire par répétition avec distorsion de sens – Evi Tzortzi tend à attirer l’attention sur la forme d’hypnose que constituent les médias de masse. Ceux-ci semblent aller de paire avec le modèle de l’individu-consommateur qui a remplacé le citoyen partout, y compris dans la plus vieille démocratie du monde. Quelque soit son poids historique, la Grèce n’échappe pas à la course aux bénéfices et les événements de décembre 2008 prouvent, s’il était nécessaire, qu’il y a des failles dans son édifice social.

Une femme est allongée sur un téléviseur, la tête et les jambes dans le vide. La même, vêtue de blanc, mi-prêtresse mi-spectre, se trouve captive d’une boîte au fond rouge sang, comme la bande qui ne dissimule pas ses yeux. L’image saute à l’intérieur du téléviseur, instable, la femme accroupie est noyée dans une partition électronique de Grivas Anastasis. Sa bouche arrondie semble crier, elle tente de repousser les parois.

Les mouvements sont profonds et remontent à la surface par vagues successives. Le bûto nourrit l’interprétation d’Evi Tzortzi. Lorsque la vidéo s’achève, la jeune femme allongée a chuté après avoir imperceptiblement dégluti. Elle demeure alors un moment au sol tandis que l’écran se couvre de parasites que nous appelons neige, comme pour conserver une part de naturel dans cet objet, devenu domestique.

La performance, créée en collaboration avec la chorégraphe Stefanie Tsakona et présentée dans l’espace Frown Tails, pourrait être l’après de cette vidéo. Une femme dort sur la télévision qui a remplacé son lit et même ses rêves, un somnifère qui sert de substitut d’existence. La créature enfermée dans le téléviseur apparaît à la fois comme image de sa réalité et comme une représentation du moi profond, piégé. La psyché humaine prisonnière d’un diktat extérieur et collectif. A force d’effort, elle parvient à réveiller la dormeuse aux chevilles tatouées : € et $. La chute de cette belle au bois dormant du temps présent marque le début d’un retour à soi. La danseuse porte d’abord une tête lourde de trop d’informations, difficile à détacher du sol.

La bande son composée par Lambros Pigounis entrelace de très petites unités sonores, des brisures d’instants audibles qui font écho aux particules lumineuse agitées. La qualité de silence est remarquable, parfois respiration, parfois oppressant. Le fil narratif se déroule ainsi accompagné par cet espace sonore d’une grande précision. Difficile de dire s’il est mécanique, mélodique ou organique. Tout cela à la fois, sans doute.

Les mots « soumission », « peur », « contrôle » s’écrivent à l’écran, en boucle. Après une marche systématique de rectangles concentriques, les pieds et les mains se tordent, la danseuse se recroqueville. Elle souffre, peine à retrouver son autonomie. Une chute brutale sur le dos entraîne une crise d’épilepsie d’une grande justesse. Alors qu’elle se traîne vers son attaché-case, comme retenue en arrière par la télé et les sons, elle parvient à se relever, serre la mallette sur sa poitrine, l’agrippe. Levée au dessus de sa tête puis ouverte, elle laisse échapper de l’eau qui nettoie de l’attachement à la zone grise d’une vie déshumanisée ; achève le réveil.

Dans le silence, on entend sa respiration. Elle couvre le téléviseur de sa veste et apparaît vêtue de la tenue que portait sa conscience. La voilà bras tendus vers le ciel, tête renversée à nouveau, vers le haut cette fois. Les battements de cœur enregistrés se mêlent à son souffle, sa présence est vibrante.

Evi Tzortzi évoque la possibilité d’un après heureux. L’évidence de l’aliénation, l’effondrement des valeurs matérialistes et médiatiques laissent-ils la place à l’union de chacun avec soi ? L’heure des prises de conscience individuelle est-elle là ? Peut-être.

Danzine